Grand architecte du rap français, EJM, revient sur son parcours de jeune banlieusard qui découvre la scène parisienne Hip Hop déjà très foisonnante au milieu des années 80. Il nous offre une tranche de vie que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Ce pionnier du rap sociopolitique revient sur ses premiers passages en radio, sa rencontre avec l’industrie du disque, ses illusions et sur son engagement toujours intact aujourd’hui. Avec beaucoup de lucidité et de sincérité, il nous replonge dans l’histoire et l’évolution d’un genre musical sur lequel personne ne croyait et qui fait désormais partie de la musique populaire française.
EJM c’est 2,3 EPS, mais surtout un album phare sorti en 1993, La rue et le biz. Également, mais moins connus c’est le deuxième album G’Squat – Album Concept Volume 1
1- Salut bienvenue sur ONZMTL, pouvez-vous présenter SOFRESH ?Somy : A la base nous sommes trois personnes sur le projet So Fresh, mais aujourd’hui nous ne sommes plus que deux, Robin et moi. Avec Robin, nous sommes deux amoureux de la culture Hip Hop, on avait la même envie, celle de documenter des périodes que l’on a plus ou moins vécu, on trouve que notre culture en France ne l’est pas assez. De mon côté, j’avais déjà commencé, il y a longtemps à faire des interviews, à collecter des infos et à les partager. Fin des années 90, début 2000 avec des membres de mon crew de graffeurs, on avait créé un fanzine franco-québécois qui s’appelait « Keep It Real ». J’ai toujours aimé partager et je le fais encore par le biais des conférences sur l’histoire sur la culture Hip Hop que je donne un peu partout. Pour moi ce documentaire se trouve dans la continuité de ce que je fais déjà.
Robin : Je suis un passionné de la culture hip-hop depuis le début des années 90. J’ai pratiqué le graffiti pendant plus de 10 ans, c’est à cette époque que j’ai rencontré Somy, au terrain de la petite école à Nanterre où l’on bougeait avec SEZAM et FINT (des crews ACR-D77). On s’est recroisé des années plus tard dans le 18e arrondissement de Paris et c’est notre passion commune pour cette culture qui nous a réunis. Je suis désormais monteur et co-réalisateur avec King Somy de ce documentaire. C’est un collectif de passionné, on kiffe la culture hip-hop, car nous en étions des acteurs et maintenant on essaie de la documenter. L’idée de So Fresh est de proposer tous types de contenus en rapport avec cette culture, que ce soit des documentaires, des interviews long format, des podcasts, des capsules courtes pour le web… On est ouvert à tous les types de formats. On travaille actuellement à l’écriture de notre prochain documentaire.
2- Depuis quelques années et du côté du rap français surtout on assiste au retour de pas mal de groupes de rap de l’ancienne génération, Ministère Amer, Expression Direkt. Qu’est-ce qui vous a donné envie de remettre le projecteur sur EJM ?Somy : C’est vrai que depuis quelques années, on voit des anciens qui reprennent du service, je ne serai pas capable de te dire exactement pourquoi. Il y a peut-être de la nostalgie autant du côté des artistes que de leur auditoire, certains ont encore des choses à dire et sont capables de le faire avec beaucoup de style, c’est bien de savoir qu’ils ont toujours la magie. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’univers rap, pour les jeunes comme pour les vieux.A la base, on voulait faire un show hip hop, on avait besoin de faire une série de portraits d’activistes. On a listé des gens que l’on trouvait importants à interviewer et quand il a fallu choisir, on est tous tombé d’accord sur EJM et sur le fait qu’il avait été un élément clef pour le développement du rap en France.Robin : En 2017 avec la tournée de « L’âge d’or du rap français » (organisée par Valou & Michel Zecler, Mazava Prod) beaucoup de groupes de rap des années 90 sont revenus sur le devant de la scène. C’est une bonne chose pour ces artistes et je pense qu’il y a un attrait du public pour cela.Il faut aussi noter qu’il y a de plus en plus de livres et d’émissions qui traitent de l’histoire du rap français. Je pense aux livres « Regarde ta jeunesse dans les yeux » de Vincent Piolet, « Le visage du rap » de David Delaplace… L’émission « Get Busy » sur Clique Tv avec Sear & Real Muzul, la série de Podcast « Featuring » de Driver. Les rappeurs ont envie de parler de leurs débuts, de revenir sur leurs carrières et le public veut en savoir plus.
La rencontre avec EJM, c’est grâce à Somy, il le connaît depuis longtemps et c’est lui qui a organisé cette rencontre. J’ai tout de suite été partant, car j’ai découvert EJM en 1990 lorsque la compilation « Rapattitude » est sortie. J’avais 15 ans et je me suis pris ses textes en pleine gueule, j’ai saigné cette compilation, il n’y avait pas grand-chose d’autre cette année-là. Donc Somy organise le rdv avec EJM et on réfléchit ensemble à l’interview. À travers EJM, c’était l’occasion de reparler de la compilation « Rapattitude » qui en 1990 est un tournant pour le rap français. Elle sera disponible dans les Fnac, aux 4 coins de la France. Certains groupes qui sont dessus vont ensuite signer en maison de disques : NTM, Assassin, Tonton David, EJM… Tous auront des carrières très différentes.Je pense qu’il est important de mettre de la lumière sur ceux qui ont permis que cette culture en soit là aujourd’hui. Tous ceux qui ont participé au mouvement, que ce soit les dj, les rappeurs, les writers, les danseurs… Tous ont inspiré les générations d’après, elles ont passé le flambeau et c’est pour cela que le rap est toujours vivant. EJM le dit très bien dans notre film « Sans tout ce groupe (ndlr le mouvement), il n’y aurait rien, personne ne rapperait ». En France c’est désormais la musique la plus écoutée chez les jeunes, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ou 30 ans.https://www.youtube.com/watch?v=lwQ5gQHVYHM3- Pour vous, qu’est-ce que représente EJM dans le rap français ?Somy : EJM représente une période où les fondements du rap français vont être posés. Une période de mon adolescence où l’on a vu naître les premières “stars“ de quartiers. Des gens qui nous ressemblaient, sans chichi, ni tralala. Des mecs et des filles que tu pouvais croiser en bas de ta cité ou dans ta rue ou en soirée. EJM comme tous les rappeurs de cette génération représentait une alternative à ce que l’on pouvait entendre à la radio et à la télé.Robin : EJM c’est le symbole de ces artistes qui ont connu à la fois les années 80, période où le rap était essentiellement oral (très peu de disques à l’époque hormis Dee Nasty, Nec + Ultra, Jhony Go & Destroy Man) et les années 90, période où le rap français éclot (signatures en maison de disques, sorties d’albums…). Certains auront des carrières très longues comme NTM, IAM, Solaar, Assassin… et d’autres des carrières plus courtes.4-EJM est un peu un roi sans couronne, un rappeur qui a loupé le coche, votre ressenti là-dessus ?Somy : Non, je ne pense pas, il a juste pris un chemin différent pour se retrouver là où on ne l’attendait pas. La plupart des gens sont attachés à la réussite sociale, le fait de voir un artiste partout dans les médias, poser en photo avec sa grosse voiture ou devant sa baraque, ne signifie rien. Combien d’entre eux ont des problèmes psy, d’alcool, de drogue ou n’ont plus de plus leurs amis d’enfance à cause du succès. C’est sûr, ils ont un compte en banque bien rempli, mais quand tu regardes ça d’un peu plus près, ce n’est pas vraiment de la réussite.EJM, c’est un des grands architectes du rap français oublié, rarement cité quand il s’agit de parler de oldschool française. Nous à notre niveau on a essayé de remettre un peu les pendules à l’heure et remettre de la lumière sur ce phénomène, car EJM, c’est un phénomène.Robin : Les rois sans couronnes, il y en a quelques-uns dans le rap français, pas uniquement dans les années 90, mais aussi dans les années 2000, je pense entre autres à Salif, Nessbeal… En fait cela ne veut pas dire grand-chose, ils ne se sont pas enrichis, mais ces artistes sont énormément respectés par le public pour ce qu’ils ont fait. Pour EJM, j’ai l’impression qu’il visait autre chose. Il a réussi à sortir plusieurs albums et projets sans faire de compromissions, c’est ce qu’il souhaitait.https://www.youtube.com/watch?v=miecX31t-PA
5- Pourquoi quand on parle de Vitry on parle beaucoup de Lionel D, Timides et Sans complexe, Les Little, mais peu d’EJM ?Somy : Lionel D on en a parlé un peu suite à son décès, je crois qu’il y a beaucoup de gens qui ne le connaissent pas mis à part les gens qui écoutaient Radio Nova à l’époque. Pour les autres, je pense que c’est dû à leur actualité. Doudou Masta est devenu acteur, Sully B pendant longtemps était le beatmaker le plus courtisé. Comme je l’ai dit avant EJM, n’est pas là où les gens avaient envie de le voir, c’est peut-être pour ça qu’il est souvent oublié, même par les rappeurs qui l’ont côtoyé. Dans le rap en France quand on est artiste, j’ai l’impression que c’est difficile de dire que telle ou telle personne t’a inspiré. C’est vraiment dommage, du coup c’est rare de voir un ancien poser sur l’album d’un jeune rappeur. On commence à le voir un peu, mais je ne sais pas si c’est sincère ou si c’est juste pour faire le buzz. Ça serait drôle de voir un titre de Booba featuring EJM ou je ne sais qui.Robin : C’est vrai que l’on a moins parlé d’EJM, dans les années 90 il a fait quelques apparitions télé, quelques articles ont été écrits sur lui, mais beaucoup moins que pour d’autres artistes. Cela vient peut-être de son souhait d’être plus discret, mais aussi des médias de l’époque qui se sont moins intéressés à lui. La réponse doit se situer entre les 2.
6- Entre le moment où vous avez eu l’idée du docu et vous l’avez sorti, donc le 16-11-2020, il s’est passé combien de temps ?Somy : Il s’est passé quasiment deux ans, mais on l’a diffusé l’année dernière sur le Festival X-Bar et EJM a enchaîné avec un show case qui a bien été reçue par le public. D’ailleurs spécial big up à Nathalie Barraux pour nous avoir accueilli.Robin : Cela nous a pris du temps pour monter cet « entretien documenté », on a tout fait tout seul, sans l’aide d’une boîte de prod, c’est donc moins évident, mais cela nous laissé une totale liberté sur ce que l’on voulait dire dans notre film. Après la projection fin 2019 au festival X-Bar on s’est laissé du temps pour tenter de le diffuser dans d’autres festivals, puis le Covid est arrivé. On en a profité pour le faire traduire en anglais, afin de le diffuser sur You Tube. L’idée était que le film soit disponible gratuitement, que tout le monde puisse le voir.7- Ou est-ce que vous êtes allé chercher toutes ces magnifiques images d’archives d’NTM, Assassin ect. ?Somy : Tous les deux, on possède chacun de notre côté quelques archives et il fallait qu’on se crée des occasions pour s’en servir et c’est ce qu’on a fait en essayant de raconter une histoire. La grande partie des images, c’est Robin qui les a trouvés.Robin : Avec Somy on est des passionnés, on peut passer des heures sur internet à digger des vidéos et des photos… C’est une mine d’or ! À travers ces images d’archives, le film raconte la carrière d’EJM, mais il raconte aussi une période : celle des années 80 et des années 90. Lorsque l’on se passionne pour l’histoire du hip-hop, on est forcément avide d’images de cette époque révolue, on a donc fait le choix d’en mettre le plus possible pour satisfaire la curiosité de ceux qui ont vécu cette période, mais aussi pour ceux qui ne l’ont pas connu.8 – Perso, j’adore l’album La rue et le biz, d’après vous, pourquoi l’album n’a pas fait sa place à l’époque ? Somy : Je ne sais pas exactement, dans le documentaire il donne un élément de réponse, EJM était un peu en avance sur son temps et donc pas toujours compris au bon moment. Ou peut-être que c’était simplement dû à un problème de com.https://www.youtube.com/watch?v=x7YFtCcUJr8&t=217s9- C’est quoi les futurs projets pour So Fresh ? Somy : Le futur de So Fresh, d’autres interviews de personnes que l’on trouve importantes pour le développement de la culture Hip Hop, peu importe la discipline. On aimerait documenter le plus possible notre Hip Hop français, car il n’y a pas tant de choses que ça. Je sais que beaucoup de gens possèdent des archives qui dorment et qui méritent d’être vu. Je me suis rendu compte que les gens de tous bords et de tous âges sont prêts à écouter l’histoire de notre culture, car elle est riche.Je peux te balancer une liste de gens que je souhaiterai faire : Grand Master Deenasty, B.girl Nacéra, Sophie Bramly, Darco (FBI), DJ Goodka, DJ Pone, L’Atipik (première femme à gagner le DMC France), la oldschool Lyonnaise, Nantaise et Bordelaise…, Casey, Jay One (BBC), Jon One, Xavier Plutus (Aktuel Force)…Robin : Avec So Fresh on veut développer tous types de projets : des interviews vidéo, des podcasts… On est ouvert pour collaborer avec d’autres personnes, d’ailleurs si des gens veulent nous contacter voici notre adresse mail : projexsofresh@gmail.com10- Merci de votre temps et à bientôtRobin : Merci à toi pour l’interview et big up à ONZMTL !Somy : Merci à toi, un spécial big up au hiphopers de Montreal
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